– Extraits-
LE RIRE DES ESCLAVES
La télé
« Comme la tique sur le chien, Toussaint s’est planté sur le lit, face au petit écran. Sa tête reçoit des milliers d’images qui ne lui sont d’aucun secours. (…) Végétal nourri par un soleil artificiel, Toussaint navigue sur des flots d’images satellites».
Téléphone portable
« Les machines émettent de sinistres vibrations. L’ordinateur grésille, les postes de télévision sursautent. Comme le chien anticipe l’arrivée d’un intrus, les machines, compagnes de l’homme, savent les premières. Chacun attrape son téléphone portable (…).
Papillon de nuit
« J’ai alors pensé aux animaux sauvages dans la savane. On les prend pour les mettre dans les zoos des pays froids. J’imagine Dieu comme un homme en tenue de safari, avec des poches partout, des bras musclés et bronzés. Il m’a capturée pour me mettre dans un zoo, le grand zoo chrétien. On nous donne à boire et à manger et on nous soigne car il faut être présentable pour les visiteurs, mais on préférerait être dans la savane.
L’avantage, dans un zoo, c’est que contrairement à la vie dans la savane, on est à l’abri.
Hier, j’ai vu la publicité d’un organisme qui rachète les crédits. Un seul interlocuteur pour la dette, disait la voix. Je n’ai pas trop compris à quoi ça servait mais je crois que c’est un peu ce que fait
Dieu : il rachète toutes nos questions. Un seul interlocuteur
pour la dette. En échange, on lui doit tout.
On lui doit notre vie. »
J’ai 12 ans
« Dans le silence de l’aube, un corbeau. Lucie ouvre un oeil. D’une perfection métallique, le disque solaire troue l’horizon de la ville plate. Lucie a un membre mort à côté du visage. Son bras ne répond plus. Elle l’attrape par la main. Glisse sa main droite dans sa main gauche et replie son bras avec amitié. Il est envahi par une énergie légère qui se répand en finesse et électricité. Son membre et elle se reconnaissent. Elle serre les poings pour raviver ses troupes.
Malgré la lumière du jour, un papillon de nuit vient se poser sur sa main ressuscitée. Seuls les papillons de jour ont assez d’assurance pour confronter leur bref éclat à celui des hommes. Le papillon de nuit est plus farouche, un peu gras, épais et poudreux, comme en cours d’effritement. Signe funeste. Le papillon de nuit s’est perdu en plein jour. Si elle ne va pas au bout de sa mission, Lucie sera comme lui, prisonnière d’un royaume qui n’est pas le sien ».