– Extraits-
Lettre d’amour au Minotaure
« Ecoute, toi qui me hantes, me brûles et me dévores, toi qui en moi resplendis encore. J’ai connu le bonheur des dieux, ceux qui se transforment pour séduire des mortels, deviennent pluie d’or, nuage ou bête, ceux qui violentent leur nature pour accomplir leur désir. Moi aussi j’ai connu la métamorphose.
Je protégerai cette lettre de la lumière et de l’humidité comme les scribes m’ont appris à le faire, puis je la cacherai et un jour, dans un nombre indéterminé de cycles, quelqu’un la trouvera et alors le monde saura qui tu étais vraiment, qui nous étions vraiment, toi, le Minotaure, hantise du monde connu et moi, Ariane, fille fugitive d’un roi tout-puissant.
Si personne ne trouve jamais cette lettre, si elle est détruite par la nature ou par le temps, je ne l’aurai pas écrite en vain car alors j’aurai retrouvé la géographie de notre mystère.
J’avais la vie, j’avais le pouvoir de ma condition, l’horizon et la mer à ma disposition et je ne voulais que toi, et ce qui auparavant m’apparaissait beau est devenu laid, et ce qui me semblait désirable m’a repoussée. J’ai changé de monde. Je m’interroge encore sur mon attachement à ce royaume étrange auquel tu appartenais, ce monde où la bête, l’homme et la divinité s’interpénètrent. Je m’interroge encore sur mon goût démesuré pour le cœur menaçant du palais. Tu étais l’autre côté du monde, tu étais le sacré.
De l’union des dieux et des mortelles naissent des êtres spectaculaires. Tu étais l’une de ces créatures extraordinaires nées à la surface de la Terre. A tes côtés trônent d’autres créatures hybrides combinant les pouvoirs et les faiblesses des hommes, des bêtes et des dieux, centaures, sirènes, gorgones, harpies, dont la forme étrange sème l’effroi et la fascination car ils sont la preuve que toutes les formes de vie se conjuguent et s’appartiennent, que les règnes s’entremêlent et que l’incertitude gouverne nos vies. »